Le concept dichotomique du Loi-Chaos tel qu'il apparaît dans les mondes de fantasy a été initié par le livre de Poul Anderson Three Hearts and Three Lions, bien que les bases soient beaucoup plus anciennes[1]. La Loi représentait ce que l'humanité et la civilisation incarnait - l'imposition d'un ordre sur des terres sauvages et imprévisibles - tandis que le Chaos était ce sur quoi la plupart des choses non humaines prospéraient : le bizarre, le weird, l'aléatoire et surtout, le magique.
Michael Moorcock a adapté cela, bien que son interprétation ait évolué avec l'expansion de son univers. Dans ses premières œuvres, le Chaos était essentiellement antagoniste, même envers Elric, qui tirait son pouvoir de lui ; la Loi était essentiellement les bons, bien que de manière ambiguë (imaginez vivre dans un village en France en 1944 : les Nazis représentent le Chaos, définitivement les méchants, mais les Alliés représentent la Loi et votre bien-être est pour eux quelque peu secondaire dans leur lutte contre leurs ennemis). Avec le temps, l'idée d'Équilibre est apparue en tant qu'alternative à chaque côté, et bien qu'en termes de D&D elle soit 'neutre', dans les écrits de Moorcock elle est en gros devenue le côté "bon" et l'accent a été mis sur les similitudes réfléchissantes de la Loi et du Chaos, à partir de ce moment-là ils sont tous les deux en gros "mauvais" (au moins une fois Elric se bat contre un démon et est surpris d'apprendre que c'est un démon de la Loi, pas du Chaos), mais ce développement ne s'est produit que bien après l'établissement du système D&D.
Dans la première édition de D&D, les termes andersoniens étaient utilisés, mais étaient essentiellement des substituts de Bien et de Mal. Les PJ étaient censés être Légaux, donc les monstres Chaotiques étaient ceux contre lesquels vous étiez censés vous battre et les monstres Légaux étaient ceux avec lesquels vous étiez censés être amicaux. Supplement I: Greyhawk avait une séparation implicite du bien et du mal, probablement pour encourager les PJ Chaotiques afin de donner l'impression que la classe Paladin nouvellement introduite avait plus de restrictions, mais cela n'est devenu explicite qu'à la 2e édition de D&D. Lorsque AD&D a été d'abord publié, D&D est revenu au modèle simple de Loi-Neutre-Chaos et, pour la première fois, le bien et le mal ont été pleinement étoffés en tant que principes et alignements possibles pour les personnages.
La série de Roger Zelazny Chroniques d'Ambre utilise également une dichotomie Loi contre Chaos, bien qu'elle soit introduite trop tard pour avoir une influence déterminante sur D&D, elle reflète les caractéristiques des deux tels qu'ils apparaissent dans AD&D : il y a de nombreux personnages bons et mauvais de chaque côté du conflit Ambre/Cours du Chaos.
Avec chaque nouveau produit ou édition, les définitions des alignements ont évolué légèrement, mais elles sont toujours restées complexes et confuses ou inadaptées pour beaucoup de gens, laissant place à de nombreuses interprétations variées et à des règles maison (pour ma part, je ne suis pas satisfait de toute description imprimée du Mal Légal - c'est là que l'on trouve un meurtrier avec un sens de l'honneur, mais les règles ne soutiennent jamais cette interprétation). Finalement, les différences philosophiques entre la Loi et le Chaos ont été abandonnées, si bien que Bien Légal signifiait "exceptionnellement bon" et Mal Chaotique "exceptionnellement mauvais" ; beaucoup de gens jouaient déjà comme si c'était le cas.
[1] Ils peuvent être rattachés à la philosophie grecque ancienne, avec des concepts positifs comme logos et kosmos (ordre et raison) s'opposant à des concepts négatifs comme aporia et khaos (confusion et chaos). Nietzsche, avec d'autres érudits allemands du 19e siècle, a identifié ces deux modes comme Apollinien et Dionysien, l'idée étant que la nature humaine était un mélange de tendances apolliniennes civilisées avec des tendances dionysiennes sauvages et animalistiques. Certains voient également des idées similaires dans l'Épopée de Gilgamesh.
De manière intéressante, les Égyptiens avaient un concept d'ordre mais deux concepts de chaos ; l'un, représenté par le dieu Seth, est le genre de chaos que l'on trouve sur les marchés et dans la nature, celui qui cause parfois quelques destructions mais qui est aussi la source de créativité et de nouvelles croissances, et l'autre représenté par le serpent Apep, est le chaos violent et primordial qui ne fait que détruire. Ce qui rend cet agencement intéressant, c'est que Seth était le protecteur de l'ordre (sous la forme de Ra) contre Apep.